L’électrification des usages est un levier essentiel pour que la France et l’Europe atteignent la neutralité carbone en 2050
Les efforts de décarbonation entrepris par la France et l’Union européenne, dans le cadre de l’accord de Paris au niveau mondial, du Pacte Vert au niveau européen, ou encore de la loi Climat1 au niveau national, ont pour objectif l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050. À plus court-terme, l’objectif intermédiaire au niveau européen est de réduire les émissions territoriales nettes de l’Union d’au moins 55 % par rapport à celles de 1990 ; cette ambition est déclinée concrètement, pour l’ensemble des secteurs, par le paquet législatif Fit-for-55, dont la plupart des textes sont aujourd’hui adoptés, et visent à engager, sans attendre, l’Union sur la trajectoire nécessaire pour atteindre les objectifs de 2030 et 2050.
Le système électrique français est aujourd’hui largement décarboné (voir le chapitre Émissions) : ses émissions contribuent peu au bilan carbone global du pays, ce qui représente un atout en vue de l’atteinte des objectifs climatiques. Cependant, l’économie française et les usages énergétiques aujourd’hui non-électriques restent très dépendants des énergies fossiles, et génèrent des émissions significatives : les émissions totales de gaz à effet de serre, toutes origines confondues, sur le territoire français se sont élevées à 415 MtCO2eq en 2021, soit 6,1 tCO2eq/habitant2 3. Le bilan est plus élevé en considérant les émissions liées à la demande intérieure du pays (avec une approche « empreinte carbone »), qui tiennent compte du contenu carbone des produits importés, tout en retranchant le contenu carbone des produits exportés. L’économie française étant, comme celle de la plupart des pays de l’OCDE, fortement tertiarisée, les importations représentent une part importante de l’empreinte carbone. En 2021, celle-ci s’élevait à 575 MtCO2eq, soit 8,4 tCO2eq/habitant. Une relocalisation de certaines productions sur le sol français en même temps que progresse la décarbonation des usages de l’énergie pourrait donc contribuer à la réduction des émissions globales, tout en ayant un effet limité sur l’augmentation des émissions territoriales.
Une transformation nécessaire pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, commune à tous les scénarios de prospective pour la France ou d’autres pays européens, est l’électrification massive des usages4, c’est-à-dire le transfert vers l’électricité d’une part importante des consommations d’énergie aujourd’hui satisfaites par des combustibles fossiles5. Notamment, l’électrification est un des leviers de décarbonation identifiés dans la Stratégie nationale bas-carbone de la France. L’électrification peut être directe, ou indirecte via notamment le recours à l’électrolyse de l’eau pour la production d’hydrogène.
S’agissant du levier électrification, l’enjeu pour les pays dont les systèmes électriques sont encore relativement carbonés est double : décarboner la production d’électricité tout en augmentant son niveau. Pour la France, compte-tenu du système électrique largement décarboné et des rythmes de transition nécessaires à l’atteinte des objectifs climatiques, la situation de départ est différente mais les enjeux sont similaires : il s’agit d’assoir l’électrification des usages sur un système électrique dont la production doit croître massivement tout restant durablement décarbonée. À court et moyen-terme, c’est-à-dire d’ici 2035, les options de développement du mix de production sont limitées6, et l’augmentation de la production bas-carbone devra passer par l’optimisation du fonctionnement du parc nucléaire actuel, pour maximiser sa production, ainsi que par une accélération du développement des énergies renouvelables (voir chapitre Production) pour accompagner la décarbonation des usages.
Depuis plusieurs années, RTE étudie de manière approfondie les différents leviers qui permettent de diminuer les émissions des différents secteurs économiques qui peuvent bénéficier de l’électrification des usages : les transports7, le chauffage8, l’industrie et la production d’hydrogène9. Notamment, les analyses menées dans le cadre des Futurs énergétiques 2050 ont conclu qu’environ la moitié de la réduction des émissions territoriales nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050 pouvait être portée par les transferts d’usages vers l’électricité10.
Dans ce contexte, il est utile de suivre le développement des différents modes d’électrification, dont les effets devraient devenir visibles sur la consommation d’électricité dans les années à venir.
L’analyse détaillée ici se concentre sur trois secteurs qui représentent ensemble 68 % des émissions territoriales de la France et 71 % de la consommation finale d’énergie11 : les transports (31 % des émissions, 30 % de la consommation finale), l’industrie manufacturière (19 % des émissions, 13 % de la consommation finale) et les bâtiments résidentiels et tertiaires (18 % des émissions, 30 % de la consommation finale). L’industrie de l’énergie, elle, représentait en 2021 environ 10 % des émissions territoriales. La moitié de celles-ci est liée à la production d’électricité, qui est déjà largement décarbonée (voir chapitre Émissions), bien que des progrès soient encore possibles ; l’autre moitié provient essentiellement du raffinage de pétrole, du chauffage urbain et de la valorisation énergétique des déchets. Le reste des émissions territoriales de la France provient de l’agriculture (77 MtCO2eq, 18 %) et du traitement des déchets (15 MtCO2eq, 4 %).
Les émissions par habitant de la France sont inférieures à celles de pays comme les Pays-Bas, la Belgique (9,6 tCO2eq/hab. tous deux) ou l’Allemagne (9,1 tCO2eq/hab.), mais sont comparables à celles de pays comme l’Italie (7,1 tCO2eq/hab.) ou l’Espagne (6,1 tCO2eq/hab.). Les émissions territoriales par habitant de l’Union européenne s’élèvent en 2021 à 7,8 tCO2eq/hab (source : European Environment Agency, National emissions reported to the UNFCCC and to the EU Greenhouse Gas Monitoring Mechanism, données 2021). Ces chiffres ne prennent pas en compte les émissions extraterritoriales ni l’aviation internationale (en d’autres termes, il ne s’agit pas d’empreinte carbone, qui, elle, est plus élevée).
Pour un résumé des scénarios envisagés par les pouvoirs publics dans une sélection de pays européens, voir RTE, Futurs énergétiques 2050 – chapitre 6 : l’Europe, et Bilan prévisionnel 2023-2035 – chapitre 5 : L’Europe.
Le degré d’électrification envisagé peut varier selon les différentes stratégies nationales mais reste élevé pour la plupart des pays européens. D’autres leviers de décarbonation sont le recours à la biomasse (biogaz, bois ou biocarburants), ainsi qu’à d’autres vecteurs de synthèse (hydrogène, e-carburants) produits à partir d’électricité, qui permettent de satisfaire des usages qui ne peuvent l’être par l’électricité directement (il s’agit alors d’électrification indirecte).
En considérant le périmètre de l’empreinte carbone, la contribution de l’électrification était évaluée à environ 35 % dans les Futurs énergétiques 2050.
Le CITEPA comptabilise les émissions liées à la production d’électricité dans le secteur Industrie de l’énergie. Ici, pour que la comparaison entre part des émissions et part de la consommation finale d’énergie soit valide, c’est donc la consommation finale d’énergie hors électricité de chacun des secteurs qui est considérée.
Données mises à jour le 6 février 2024