Une augmentation des besoins de flexibilité sous l’impulsion du développement des énergies renouvelables
Dans un système électrique où la plupart des moyens de production sont pilotables, comme cela a longtemps été le cas en France et en Europe, le maintien de l’équilibre entre offre et demande d’électricité à tout moment est assuré par l’adaptation de la sollicitation des différents moyens de production aux variations de la consommation. Ainsi, dans le dimensionnement du mix de production français, la production nucléaire a en général répondu aux besoins de base1, complétée par des moyens de semi-base ou de pointe (en général de type thermiques fossiles) pour couvrir les augmentations de consommation sur des périodes plus ou moins longues, notamment au cours de l’hiver. Ces moyens, caractérisés par une moindre inertie que le nucléaire, permettent également de faire face à des aléas concernant la production ou la consommation, en temps réel. Les échanges avec les pays voisins ont complété le cadre, permettant d’optimiser le fonctionnement du système européen en profitant de la relative désynchronisation des pics de consommation dans les différents pays2. Des adaptations de la consommation ou le recours à des moyens de stockage ont également contribué à assurer l’équilibre entre offre et demande, mais dans une mesure moindre par rapport à la flexibilité de la production.
Cette situation évolue progressivement avec le développement de la production renouvelable variable et non pilotable, éolienne et solaire notamment, qui dépend des conditions météorologiques. Dans ce contexte, l’équilibre entre offre et demande nécessitera de plus en plus une adaptation de la consommation à la variabilité de la production, ainsi que le développement de solutions de stockage (batteries pour le très court terme, power-to-gas pour le stockage inter-saisonnier…). La production pilotable doit alors assurer la couverture de l’écart entre le niveau de consommation et celui de la production non pilotable3 à chaque instant (consommation résiduelle).
La flexibilité de la consommation représente donc un enjeu primordial dans la gestion d’un système électrique avec une forte part d’énergies renouvelables. Elle permet d’optimiser le fonctionnement du système, en positionnant la consommation lorsque la production décarbonée (renouvelable et nucléaire) est abondante, ce qui permet de la couvrir par une production à faible coût et bas-carbone, et de réduire la consommation lorsque le recours aux unités de production thermiques fossiles, plus coûteuses et polluantes, serait nécessaire.
Le développement des nouveaux usages de l’électricité, avec l’électrification de consommations aujourd’hui largement couvertes par des combustibles fossiles (mobilité, procédés industriels, chauffage) présente un enjeu important en matière de flexibilité du système. En effet, il s’agit de volumes importants de consommation additionnelle, mais qui seront au moins en partie pilotables. En effet, la mobilité électrique, la production d’hydrogène par électrolyse ou le chauffage électrique dans les bâtiments permettent d’adapter au moins en partie le profil de consommation à la production bas-carbone, grâce à la possibilité de stockage : dans les batteries des véhicules électriques, ce qui permet de décaler dans une certaine mesure la recharge, de l’hydrogène produit, stockable dans des infrastructures adaptées, ou encore grâce à l’inertie thermique des bâtiments permettant d’accumuler de la chaleur. Ces nouveaux usages représentent ainsi une opportunité pour flexibiliser le profil de consommation et optimiser le fonctionnement du système.
Même si, compte tenu de la part importante dans le mix, le nucléaire français a toujours modulé sa production dans une certaine mesure pour s’adapter aux variations de consommation. Dans d’autres pays, la production nucléaire a historiquement été caractérisée par un fonctionnement « en base » pratiquement constant au fil du temps.
Par exemple, les pics de consommation sont souvent atteints au cours de l’été en Italie, du fait de la climatisation, et en hiver en France, du fait du chauffage électrique.
Productions éolienne, solaire, hydraulique au fil de l’eau.
Différents besoins et solutions de flexibilité
Les productions éolienne et solaire sont caractérisées par des grandes tendances saisonnières : les vents sont en général plus forts à l’automne et en hiver qu’en été, alors que le printemps et l’été bénéficient d’un meilleur ensoleillement grâce à des journées plus longues. Par ailleurs, le profil journalier de production solaire est connu et dépend du cycle jour/nuit, mais la production effective au cours d’une journée peut varier en fonction des conditions météorologiques. De même pour la production éolienne, qui ne présente pas de profil caractéristique sur une journée et dépend des conditions de vent ponctuelles. Ainsi, la production de ces filières est difficilement prévisible longtemps à l’avance : la qualité des prévisions s’améliore en se rapprochant du temps réel, étant bien meilleure un ou deux jours avant le jour considéré, qu’une ou deux semaines avant.
Le développement de ces filières de production non pilotables entraîne en conséquence une augmentation des besoins de flexibilité du système, qui seront amenés à évoluer fortement à moyen et long terme4. Ces besoins correspondent aux puissances pilotables qu’il est nécessaire de mobiliser pour assurer l’équilibre entre offre et demande d’électricité à chaque instant. Ils contiennent donc deux dimensions : celle de la puissance instantanée, et celle de la durée pendant laquelle il faut la mobiliser (quelques minutes, quelques heures, quelques journées ou des horizons plus longs), ce qui correspond au déplacement dans le temps d’un certain volume d’énergie consommée ou produite.
L’analyse de la variation de la consommation résiduelle au cours du temps permet d’identifier différents types de besoins de flexibilité selon les horizons de temps suivants :
- Intra-journalier : variations entre les heures d’une même journée. La production d’origine photovoltaïque induit notamment de fortes variations de consommation résiduelle entre le jour et la nuit ;
- Intra-hebdomadaire : variations entre les jours d’une même semaine. Notamment, la consommation totale, et donc la consommation résiduelle, varie fortement entre les jours ouvrés et les week-end ; par ailleurs, la production éolienne peut présenter des variations, parfois brusques, entre un jour et l’autre ;
- Inter-hebdomadaire : variations entre les semaines d’une même saison (été ou hiver) qui sont majoritairement le résultat des aléas climatiques (températures, vent) ;
- Inter-saisonnier : variations entre l’été et l’hiver ;
- Inter-annuel : variations entre une année et l’autre, qui dépendent notamment des conditions météorologiques (niveau de température par rapport aux normales, niveau de production éolienne...)
Différents types de flexibilités permettent d’adresser ces besoins variés. Il est possible de les classifier de manière séquencée dans le temps, avec un volume d’énergie déplacée qui décroit à l’approche du temps réel :
- Les flexibilités structurelles et régulières : elles représentent l’essentiel des besoins de flexibilités et dont les besoins sont largement prévisibles (forme naturelle de la courbe de charge, production solaire en journée, ...). L’enjeu réside dans le positionnement de la consommation lorsque l’électricité bas-carbone est disponible. Il s’agit de modifier les courbes de charge sur la durée ;
- Les flexibilités dynamiques : elles adressent des besoins prévisibles de quelques jours à l’avance jusqu’à l’infra-journalier, notamment en réaction aux incertitudes liées à la production éolienne et à la thermo-sensibilité de la consommation ;
- Les flexibilités d’équilibrage : elles viennent remédier aux aléas (pannes, incidents) ou aux incertitudes (liées à la météo en particulier) liées à la gestion de l’équilibre entre offre et demande en temps réel ; leur besoin total ne représente pas plus de quelques GW, et n’augmentera que marginalement malgré l’évolution du mix de production ;
- Les flexibilités de sauvegarde : elles concernent les besoins requis pour faire face aux situations exceptionnelles affectant l’équilibre offre-demande. La mobilisation de ce type de flexibilité repose actuellement principalement sur les journées et heures les plus à risque signalées par le dispositif Ecowatt.
Les trois premiers types de flexibilités sont mobilisés tous les jours et peuvent être valorisés dans le cadre du fonctionnement des marchés de gros et d’équilibrage, alors que les flexibilités de sauvegarde répondent à des besoins exceptionnels et ponctuels.
RTE, Bilan prévisionnel 2023–2035, 2023