Les marchés de l’électricité ont assuré une utilisation optimale des ressources disponibles
Les systèmes électriques des différents pays européens sont aujourd’hui assez largement interconnectés. La plupart des pays d’Europe continentale font partie du « système électrique continental synchrone », qui partage à chaque instant la même fréquence électrique de 50 Hz1.
Le développement des interconnexions représente de longue date une priorité de la politique énergétique de l’Union européenne. Mentionné dès 1955, cet objectif est considéré comme un moyen de réduire le coût de l’électricité. L’interconnexion des réseaux nationaux constitue en effet un prérequis à la mise en place du marché européen de l’électricité. En permettant de tirer parti des complémentarités des mix énergétiques nationaux, elle est de nature à bénéficier à la collectivité européenne selon trois axes : le renforcement de la sécurité d’approvisionnement en électricité et de la sécurité d’exploitation des systèmes interconnectés, la réduction des coûts de production à l’échelle du continent par la sollicitation des moyens de production les moins onéreux, et la faculté d’intégrer des volumes plus importants d’énergies décarbonées.
Ainsi, les échanges entre pays européens permettent une mutualisation des capacités nécessaires à la sécurité d’approvisionnement et de solliciter à chaque instant les capacités de production les moins coûteuses (et les moins carbonées) disponibles pour couvrir la consommation d’électricité en Europe. Cette mutualisation est particulièrement intéressante car elle permet de tirer profit des profils de consommation dans les différents pays européens. Par exemple, les pointes de consommation ne surviennent pas au même moment de la journée ni à la même saison selon les pays (pointes en été dans l’après-midi en Italie, en soirée en hiver en France, dans la matinée en hiver dans les pays scandinaves). Dans une moindre mesure, cela permet de profiter du foisonnement de la production des énergies renouvelables variables.
Le marché européen de l’électricité concourt à minimiser le coût de fonctionnement du système électrique au périmètre européen. Cependant, les niveaux très élevés des prix de l’électricité atteints sur l’année 2022, qui ont exercé de fortes tensions sur les consommateurs, les finances publiques et l’économie en général, ont conduit à l’émergence d’un débat au niveau européen sur le sujet, qui a abouti fin 2023 à un accord sur une réforme de l’organisation des marchés en Europe2. Celle-ci vise à mieux aligner les coûts de production et les factures payées par les consommateurs d’électricité, tout en maintenant l’efficacité du marché de court terme et en renforçant les incitations à l’investissement dans les nouveaux moyens de production d’électricité nécessaires à la décarbonation. Ainsi, les fondements du marché spot de court-terme ne sont pas modifiés, et l’accent est mis sur le développement des marchés à terme ainsi que sur les règles visant à encourager la passation de contrats à prix garanti publics ou privés entre producteurs et consommateurs3 (voir chapitre Prix).
Enfin, le renforcement des capacités d’échange participe du projet politique de l’Union européenne. Le règlement européen « concernant la gouvernance de l’Union de l’énergie et l’action pour le climat »4 demande à chaque État membre, dans le cadre des plans nationaux énergie-climat, de prioriser ses investissements dans les interconnexions afin de viser des capacités à hauteur de 15 % de ses capacités de production en 2030, sous réserve d’une analyse coûts-avantages positive pour chaque investissement et sous certaines conditions, notamment d’intégration environnementale. Au titre du règlement sur les réseaux transeuropéens d’énergie, l’Union européenne a introduit la notion de « projets d’intérêt commun » qui permet aux projets d’interconnexion qui en bénéficient de devenir éligibles, sous certaines conditions complémentaires, à des soutiens financiers européens dans le cadre du mécanisme pour l’interconnexion en Europe (Connecting Europe Facility).
Le fonctionnement du système électrique à l’échelle européenne constitue aujourd’hui une réalité, qui se révèle essentielle lorsque que le système électrique français se trouve en situation de tension sur l’approvisionnement, comme cela a été le cas à l’automne-hiver 2022/2023. Depuis dix ans, le renforcement des interconnexions entre les pays et le développement d’énergies renouvelables variables ont conduit à une augmentation significative des échanges entre pays, et la France ne fait pas exception.
Située à l’intersection de plusieurs péninsules électriques (péninsule ibérique, Italie, Grande-Bretagne) et dotée d’importantes capacités de production installées, la France participe pleinement aux échanges européens. Il ne serait pas optimal, du point de vue technique et économique, de dimensionner le parc de production pour couvrir systématiquement et totalement les périodes de forte consommation. Ceci est d’autant plus vrai en France, où la consommation est fortement sensible aux températures (voir partie Consommation). Ainsi, en cas de tension sur l’équilibre offre-demande, même hors situation de crise, il est normal que le pays à se trouve en position importatrice. Toutefois, la production française (nucléaire, hydraulique et autres renouvelables) étant plus compétitive que celle de la plupart ses voisins, la France redevient exportatrice dès lors que l’équilibre entre l’offre et la demande n’est pas tendu, c’est-à-dire la grande majorité du temps. L’interconnexion de la France aux autres pays européens lui permet ainsi d’une part d’assurer sa sécurité d’approvisionnement et d’autre part de trouver des débouchés économiques à sa production bas carbone et contribuer à la décarbonation du mix européen.
Ainsi, pendant l’année 2022 les flux s’étaient bien orientés conformément aux besoins physiques du système électrique : alors que le solde des échanges français est habituellement exportateur net, il était devenu importateur en 2022 au moment où la production nationale chutait du fait de l’indisponibilité de nombreux réacteurs nucléaires et d’une production hydroélectrique réduite. L’augmentation des prix de marché et l’inversion des échanges électriques de la France constituent deux phénomènes jumeaux résultant d’un même besoin physique, celui de solliciter des moyens de production plus onéreux situés dans les pays voisins, essentiellement en lieu et place des réacteurs nucléaires français rendus indisponibles par les contrôles et les réparations liés au phénomène de corrosion sous contrainte à compter de décembre 2021. C’était en particulier le cas à l’été 2022, où la tension sur le système électrique français avait atteint son sommet.
L’amélioration des fondamentaux de l’équilibre offre-demande en France a mené à un retournement de situation en 2023, avec une baisse marquée des prix (voir le chapitre Prix) et un solde des échanges redevenu largement exportateur (voir plus loin), montrant le caractère temporaire de ce recours massif à la production étrangère. Cette évolution des échanges, synchronisée avec l’évolution des besoins physiques du système, montre que l’Europe dispose aujourd’hui, avec le marché interconnecté, d’un système d’allocation de court terme extrêmement efficace et réactif, qui n’a pas fait défaut durant la période de crise, dont les règles n’ont été remises en cause par aucun pays, et qui fonctionne de sorte à atteindre l’objectif de maintien de la sécurité d’approvisionnement. Les légitimes interrogations que soulève ce marché pour ce qui concerne sa faculté à permettre une politique d’électrification massive ne doivent pas masquer ce résultat essentiel de vingt années d’intégration technique des systèmes électriques à l’échelle européenne.