Échanges : le système électrique, un sujet à dimension européenne
Les systèmes électriques des différents pays européens sont aujourd’hui assez largement interconnectés. La plupart des pays d’Europe continentale font partie du « système électrique continental synchrone », qui partage à chaque instant la même fréquence électrique à 50 Hz. En mars 2022, ce système synchrone a été étendu en urgence à l'Ukraine et la Moldavie pour soutenir la stabilité du réseau électrique dans ces régions, grâce à l’accélération de procédures déjà en cours.
Le développement des interconnexions représente de longue date une priorité de la politique énergétique de l’Union européenne. Mentionné dès 19551, cet objectif est considéré comme un moyen pour réduire le coût de l’électricité. L’interconnexion des réseaux nationaux constitue en effet un prérequis à la mise en place du marché européen de l’électricité. En permettant de tirer parti des complémentarités des mix énergétiques nationaux, elle est de nature à bénéficier à la collectivité européenne selon trois axes : le renforcement de la sécurité d’approvisionnement en électricité et de la sécurité d’exploitation des systèmes interconnectés, la réduction des coûts de production à l’échelle du continent par l’accroissement de la concurrence, et la faculté d’intégrer des volumes plus importants d’énergies décarbonées.
Ainsi, les échanges entre pays européens permettent une mutualisation des capacités nécessaires à la sécurité d’approvisionnement et de solliciter à chaque instant les capacités de production les moins coûteuses (et les moins carbonées) disponibles pour couvrir la demande d’électricité en Europe. Cette mutualisation est particulièrement intéressante parce qu’elle permet de tirer profit des profils de consommation dans les différents pays européens. Par exemple, les pointes de consommation ne surviennent pas au même moment de la journée ni à la même saison selon les pays (pointes en été dans l’après-midi en Italie, en soirée en hiver en France, en hiver dans la matinée dans les pays scandinaves). Dans une moindre mesure, cela permet de profiter du foisonnement de la production des énergies renouvelables variables.
Le marché européen de l’électricité concourt à minimiser le coût de fonctionnement du système électrique au périmètre européen. Cependant, les niveaux très élevés des prix de l’électricité atteints sur l’année 2022 (voir partie « Prix »), qui ont généré des fortes tensions sur les consommateurs, les finances publiques et l’économie en général, ont conduit à l’émergence d’un débat au niveau européen sur le sujet, qui s’oriente actuellement vers une réforme structurelle du marché. Celle-ci devrait viser à mieux aligner les coûts et les factures payées par les consommateurs d’électricité, tout en maintenant l’efficacité du marché de court terme et les incitations à l’investissement dans les nouveaux moyens de production d’électricité nécessaires à la décarbonation.
Par ailleurs, le renforcement des capacités d’échange participe du projet politique de l’Union européenne. Le règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018 concernant la gouvernance de l’Union de l’énergie et l’action pour le climat demande à chaque État membre, dans le cadre des plans nationaux énergie-climat, de prioriser ses investissements d’interconnexion afin de viser des capacités à hauteur de 15% de ses capacités de production en 2030, sous réserve d’une analyse coûts-avantages positive pour chaque investissement et de certaines conditions, notamment d’intégration environnementale. Au titre du règlement sur les réseaux transeuropéens d’énergie, l’Union européenne a introduit la notion de « projets d’intérêt commun » qui permet aux projets d’interconnexion qui en bénéficient de devenir éligibles, sous certaines conditions complémentaires, à des soutiens financiers européens dans le cadre du mécanisme pour l’interconnexion en Europe (Connecting Europe Facility).
Le fonctionnement du système électrique à l’échelle européenne constitue aujourd’hui une réalité, qui s’est révélée essentielle dans le contexte tendu qui caractérise l’automne-hiver 2022/2023. Depuis dix ans, le renforcement des interconnexions entre les pays et le développement d’énergies renouvelables variables ont conduit à une augmentation significative des échanges entre pays.
Située à l’intersection de plusieurs péninsules électriques (péninsule ibérique, Italie, Grande-Bretagne) et dotée d’importantes capacités de production installées, la France participe pleinement aux échanges européens. La thermosensibilité de la consommation française et son parc de production sans marges par rapport au critère public de sécurité d’approvisionnement conduisent le pays à se trouver en position importatrice en cas de tension sur l’équilibre offre-demande. Toutefois, la production française (nucléaire, hydraulique et autres renouvelables) étant plus compétitive que celle de ses voisins, la France redevient exportatrice dès lors que l’équilibre entre l’offre et la demande n’est pas tendu. L’interconnexion de la France aux autres pays européens lui permet ainsi d’une part d’assurer sa sécurité d’approvisionnement et d’autre part de trouver des débouchés économiques à sa production bas carbone et contribuer à la décarbonation du mix européen. Ainsi, le solde des échanges entre la France et les pays voisins a été largement exportateur au cours des années passées, mais les fortes tensions sur l’approvisionnement tout le long de l’année 2022 (voir partie « Production ») ont amené à un retournement de la situation, avec un solde net importateur sur l’année.
En 2022, la France est devenue importatrice nette d’électricité pour la première fois depuis 40 ans
L’année écoulée a été marquée par des fortes tensions sur le parc de production français (cf. partie « Production ») qui ont rendu nécessaire un recours conséquent aux importations et ont affecté la position traditionnellement exportatrice de la France. Au cours de l’année, le pays a importé plus d’électricité qu’il n’en a exporté, ce qui n’était pas arrivé depuis 1980, c’est-à-dire avant le développement de la plus grande partie du parc nucléaire.
La faible disponibilité du parc nucléaire est le premier déterminant de ce retournement. Cependant, au cours de certaines périodes, une production renouvelable abondante a ponctuellement compensé la baisse de la production nucléaire et permis à la France de redevenir exportatrice en solde (en février par exemple, ou sur les deux dernières semaines de décembre), dans des proportions insuffisantes toutefois pour rétablir l’équilibre sur l’année.
Solde des échanges sur l'année 2022
Solde des échanges sur l'année 2021
Solde des échanges commerciaux entre la France et ses voisins
- Année incomplète
- Données provisoires
Détails et source
Ce graphique présente les importations vers la France, les exportations depuis la France et le solde exportateur des échanges commerciaux entre la France et ses voisins
Cette situation, historique pour la France, reflète le principe de fonctionnement normal des marchés européens, même dans une situation de hausse des prix généralisée : en Europe de l’Ouest, les flux d'électricité ont été globalement dirigés là où les prix étaient les plus élevés du fait des tensions sur la production. Les interconnexions ont donc notamment permis à la France d’importer des volumes significatifs pour assurer l’équilibre entre offre et demande, tout en permettant de continuer à exporter lors de périodes moins tendues caractérisées notamment par une production renouvelable abondante ou une moindre consommation. Suivant un principe d'optimisation économique des moyens de production à la maille européenne, les interconnexion ont également permis au système électrique français de tirer parti d'une électricité moins chère à l'étranger lorsque celle-ci était disponible.
Sur l’historique récent, la position de la France dans les échanges a été largement exportatrice pendant l’été mais plus contrastée en hiver. En effet, du fait de la forte thermosensibilité de la consommation électrique française (cf. partie Consommation), le système est plus tendu en hiver, ce qui limite les marges de production disponibles à l’export, voire nécessite parfois d’importer des volumes conséquents d’électricité. Cela est également le cas lorsque la disponibilité de la production nucléaire est nominale. En été, à l’inverse, en temps normal, la France a tendance à exporter des volumes très importants, et de manière continue : c’est à cette saison que le solde exportateur de l’année se « construit ». En 2022, le solde des échanges pour la France s’est surtout creusé à l’été. Pendant les mois d’hiver (début et fin 2022), les efforts pour maximiser la disponibilité du parc nucléaire ont permis de limiter l’écart avec le solde sur les hivers précédents, sur lesquels il était déjà fréquent que la France doive importer1.
Le solde importateur net de la France sur l’année 2022 est de 16,7 TWh, ce qui représente un peu moins de 4% de la consommation nationale d’électricité2. Les seuls mois de juillet, août et septembre représentent à eux seuls 60% de ce solde négatif, soit 10 TWh.
Ce raisonnement en volumes nets annuels, ou même mensuels, valide pour certains constats à l’échelle macroscopique, occulte néanmoins une réalité essentielle du fonctionnement du système électrique français et européen : les échanges, comme beaucoup de grandeurs du système électrique, varient de manière importante dans le temps (selon le moment de l’année, de la semaine, voire de la journée) et dans l’espace (selon la frontière considérée). La raison principale tient davantage à la minimisation globale des coûts de production à l’échelle du système européen interconnecté (le sens des échanges dépend des écarts de prix) qu’à la sécurité d’approvisionnement, même si les deux sont liés.
Ainsi, le nombre de pas de temps sur l’année sur lesquels la France a eu recours aux importations des pays voisins pour couvrir sa consommation a considérablement augmenté. Il est cependant important de noter que les périodes sur lesquelles la France importe de l’électricité peuvent inclure à la fois les situations où les importations sont indispensables pour la sécurité d’approvisionnement (c’est-à-dire, où il n’y aurait plus de marges pour solliciter une production ou des effacements de consommation additionnels en France) et des situations où les importations ont contribué à couvrir la consommation en évitant le recours éventuel à des moyens additionnels très coûteux en France. Ainsi, la France a été dépendante des importations pour la sécurité d’approvisionnement sur moins de 10 % du temps, alors que le solde des échanges a été importateur sur près de 70% du temps sur l’année 2022.
1 La résolution de Messine (1955) mentionne que « toutes dispositions devront être prises pour développer les échanges de gaz et de courant électrique propres à augmenter la rentabilité des investissements et à réduire le coût des fournitures ».
2 A noter cependant que la présente analyse couvre l’année civile : le début de l’hiver 2021/2022 est considéré dans les données 2021 et la fin de l’hiver 2022/2023 n’est pas inclue.
3 Pour avoir un ordre de comparaison, cela représente à peu près la production annuelle moyenne de la centrale nucléaire de Belleville (2 x 1310 MW, palier P’4)